Hélène Vitté, archéologue contractuelle et bénévole de l’association Méganéo nous partage l’histoire du site de Roquefort situé en Gironde.
Est ce que tu peux nous présenter le site de Roquefort en quelques mots ?
Roquefort est ce que l’on appelle un éperon rocheux, c’est-à-dire un promontoire calcaire triangulaire. Le site est localisé au lieu-dit Roquefort, sur la commune de Lugasson en Gironde. Ce relief a été taillé par les deux petits cours d’eau qui s’écoulent encore aujourd’hui de chaque côtés de l’éperon triangulaire et se rejoignent à sa pointe, l’Engranne et le ruisseau de Fontarnaud. Le plateau est aujourd’hui occupé par une exploitation viticole et une bonne partie de sa superficie est plantée de vignes. Il s’agit donc d’un site privé, appartenant à des particuliers. Roquefort est aussi connu depuis un siècle pour son allée couverte mégalithique et depuis plus longtemps encore pour ses vestiges archéologiques datant de différentes périodes historiques et préhistoriques.
Depuis quand travailles-tu sur ce site ?
J’ai commencé à travailler à Roquefort lors de mon stage de master 2 en 2019, à l’occasion de la première campagne de fouilles du site. Depuis, j’ai participé à la seconde campagne de fouilles (initialement prévue en mai 2020, puis décalée en octobre 2020 à cause de la pandémie). J’ai également travaillé plusieurs mois pour les propriétaires de Roquefort, en tant que chargée de mission en valorisation patrimoine. Donc je travaille sur ce site depuis bientôt 2 ans, en définitive.
Qu’est-ce qu’un visiteur pourra découvrir sur ce site ? Quelles sont les principaux points à retenir ?
Un visiteur aura pas mal de choses à découvrir sur ce site, selon s’il s’intéresse uniquement à l’archéologie, à l’histoire, aux vignes, ou aux trois en même temps ! J’ai mentionné l’exploitation viticole, dont le personnel a bien conscience de l’importance et de l’ancienneté de ce site, et a récemment entrepris une démarche de valorisation du site et de son environnement.
D’un point de vue archéologique, Roquefort possède un très bel exemple d’allée couverte, aussi appelée « Allée d’Aquitaine ». C’est un type de mégalithe particulier, tout en longueur, que l’on retrouve en Aquitaine. Roquefort possède l’allée couverte la plus longue de la région : 14 mètres de long (pour 1,40m de large en moyenne). Il faut également mentionner que dans un rayon de 5 km maximum autour de Roquefort, on trouve une demi-douzaine de mégalithes du même type (quoique plus petits) disséminés sur les communes alentour.
Enfin, d’anciennes fouilles archéologiques ont été réalisées dans le monument vers 1920, puis sur le plateau dans les années 1970. Les résultats des premières fouilles ont été perdus, mais celles de 1968-1976 ont mis au jour une grande quantité de matériel archéologique (céramique, silex, parure, etc…), ainsi que les restes osseux en connexion anatomique d’un jeune individu, sans doute un adolescent, dont toute la partie inférieure du corps manquait. L’archéologue (Julia Roussot-Larroque) de l’époque lui avait même donné un surnom : Arthur. C’est également à l’occasion de ces fouilles qu’un nouveau type de groupe culturel du Néolithique moyen a été proposé : le Groupe de Roquefort. D’un point de vue historique, Roquefort possède d’autres monuments anciens : un vieux rempart recouvrait l’allée couverte jusqu’au début du XXe siècle et l’a longtemps cachée aux yeux de ses propriétaires. Ce rempart barre aujourd’hui encore le plateau de Roquefort dans sa largeur et a laissé penser que le site était un éperon barré protohistorique.
On trouve également à Roquefort les vestiges d’un ancien château médiéval, construit au bout du plateau vers le XIIIe siècle. On peut aussi y voir un château plus moderne, datant vraisemblablement du XVIIe-XVIIIe siècle, associé à des bâtiments agricoles de la même période et à un pigeonnier circulaire du XVIIIe siècle. Des vestiges plus ou moins visibles de moulins à eau ont aussi été repérés sur l’un des cours d’eau en contrebas du plateau. D’autres éléments anciens ont été relevés à Roquefort et dans ses alentours immédiats, mais on a ici les plus importants.
Pour résumer, les principaux points à retenir sur Roquefort sont :
- la présence d’une allée couverte, typique de l’Aquitaine et en même temps unique de par ses dimensions
- la zone d’occupation humaine au bout du plateau, où les restes d’un individu ont été mis au jour dans les années 1970
- le grand nombre de monuments et bâtiments historiques présent sur le site, qui font finalement de Roquefort un lieu habité quasi sans interruption depuis le Néolithique.
Quelles fouilles récentes ont été faites sur ce site ?
Dans un premier temps, il faut savoir qu’un des intérêts du site était de pouvoir y faire des analyses géophysiques et des acquisitions d’images en 3D, via la technologie LiDAR et la photogrammétrie. Pour cela, deux drones ont survolé le plateau en mars 2019 avant les fouilles, et un appareil de mesure de résistivité électrique et magnétique a été passé sur des zones ciblées du site, avant et pendant les fouilles.
La première campagne de ces fouilles a eu lieu en mai 2019. Plusieurs sondages ont été ouverts autour et dans l’allée couverte et une grande tranchée a aussi été creusée sur le plateau. Une des pierres du dallage mégalithique de l’allée a même été soulevée pour pouvoir étudier l’aménagement primaire du monument (ses fondations en quelque sorte). L’emplacement de ces sondages a été choisi par Vincent Ard en fonction des résultats obtenus en géophysique et des images 3D, autant qu’en fonction des analyses de terrain plus classiques.
Cette première campagne a permis de comprendre l’aménagement de l’allée couverte, de mettre à jour les anciennes données que l’on possédait sur le monument (le nombre de ses orthostates par exemple) et de récolter plusieurs pièces de mobilier archéologique assez intéressantes (céramiques, silex, éléments de parure, os, etc…). Certains éléments de ce mobilier ont permis, après analyses, de dater la période d’utilisation de l’allée couverte entre le 5e et le 3e millénaire avant notre ère, ce qui est plus ancien que ce que les anciennes données laissaient à penser. Enfin, cette campagne a précisé l’époque de construction du rempart qui enserre l’allée couverte, soit le Moyen Âge et non la Protohistoire, et a également mis au jour un ancien fossé de palissade en bois, fouillé dans la tranchée sur le plateau, lui aussi daté de cette époque.
La seconde campagne de fouilles a eu lieu en octobre 2020 en équipe réduite (Covid-19 oblige). Le but était de poursuivre les recherches dans l’allée couverte, de préciser l’emplacement de son entrée et de voir ce qu’il restait du cairn d’origine, l’un comme l’autre finalement assez mal connus, à cause du rempart médiéval qui les recouvrait. Un sondage sur l’habitat repéré sur le plateau datant des années 1970 a également été repris, afin de reprendre les données qui en avaient été tirées à l’époque. Ce sondage est celui où l’on avait notamment découvert les restes « d’Arthur », tout au bout du plateau.
Les résultats ont été très positifs : cet ancien sondage a livré une impressionnante quantité de mobilier archéologique, datant principalement du Néolithique, d’après les caractéristiques technologiques observées, mais aussi de la Protohistoire. Enfin, il est apparu à la fouille que ce sondage n’avait pas été terminé et qu’il existe une possibilité de poursuivre la fouille ! Dans l’allée couverte, l’entrée a pu être localisée avec précision, grâce à deux petits orthostates placés en diagonale de part et d’autre de l’entrée supposée. L’ensemble forme une sorte d’entonnoir conduisant vers l’allée couverte. Enfin, on a pu déterminer que le cairn d’origine du monument a quasiment été détruit à l’époque médiévale, lorsque les occupants du plateau sont venus construire le rempart par-dessus. Fait intéressant, il semble qu’ils se soient arrêtés de détruire le cairn lorsque les orthostates du dolmen leur sont apparus.
Qu’est-ce que l’on espère comprendre dans les prochaines années ?
On espère notamment comprendre la relation qu’il pouvait y avoir, au Néolithique, entre la zone funéraire du plateau de Roquefort, avec son allée couverte, et la zone d’habitat au bout du plateau. La proximité de ces deux zones est plutôt inédite, par comparaison avec des sites funéraires et d’habitat, comme en Charente par exemple, où quelques kilomètres séparent généralement les deux secteurs. Ici, il ne s’agit que de quelques centaines de mètres. On espère aussi comprendre pourquoi Arthur, qui a été daté du Néolithique par une nouvelle datation effectuée cette année, n’a pas été déposé dans l’allée couverte, mais enterré au bout du plateau, à proximité immédiate de la zone d’habitat néolithique. D’ailleurs, la présence d’une sépulture dans ce secteur pose également la question de la dévolution de cette zone même : est-ce finalement bien une zone d’habitat ? Enfin, il sera intéressant d’étudier le mobilier archéologique associé au « Groupe de Roquefort », retrouvé dans ce sondage en 1970 comme en 2020, afin de vérifier s’il s’agit bien d’un groupe culturel à part entière, ou s’il doit être rattaché à un autre groupe déjà connu.
Si on veut en savoir plus où est ce que l’on peut trouver des informations ?
Plusieurs supports d’information existent à propos du site de Roquefort : les rapports de fouille, bien évidemment, que l’on peut demander au Service Régional de l’Archéologie de Bordeaux.
Un rapport de mission en deux volumes a également été écrit à l’issue de la mission de recherche et de valorisation du patrimoine que j’ai effectuée pendant neuf mois à Château Roquefort. Il est notamment en accès libre et au format PDF à l’accueil du domaine viticole, et concerne l’histoire générale du site, du Néolithique à nos jours.
Le domaine de Château Roquefort propose, pour les curieux gourmands, une visite guidée du domaine avec dégustation de vin. Une visite sur tablette a aussi été créée et sera prochainement mise en place au domaine.
Enfin, on peut trouver des informations « succinctes » sur l’allée couverte de Roquefort dans un article Wikipédia qui s’appuie notamment sur le rapport de fouille de 2019.